21 mars 2022

Raconter notre histoire, des collectivités locales à la politique nationale

par Gerry Brown, président-directeur général de CICan de 1998 à 2007

En tant que directeur général d’un collège, vous devez garder en tête le fait qu’un collège, c’est un établissement qui possède avant tout une spécificité locale. Vous devez donc avoir constamment pour priorité ce qui se passe localement, que ce soit au fond du couloir où vous avez votre bureau, au bas de la rue où se situe votre collège, ou dans la collectivité que vous desservez. Même ce qui se passe au niveau de la province ou du territoire, ou encore du pays, doit être pris en compte pour ses répercussions à l’échelle locale. Cela signifie que les politiques et les plans fédéraux doivent être perçus selon une perspective comparable. Pour moi, l’une des fonctions principales de CICan (anciennement l’ACCC) a toujours été de relier les priorités « locales » des collèges et des instituts aux enjeux nationaux.

Au cours des premières décennies de l’ACCC, on prêtait une certaine attention à son plan national, mais l’attrait du financement provenant des projets internationaux a peu à peu amené l’association à porter plus d’attention à l’international. À l’époque, cette dérive était compréhensible et il faut reconnaître que c’est grâce à ces sources de financement qu’elle est restée viable et a conservé son dynamisme.

À la fin des années 90, les appels des collèges membres demandant que l’association recentre son attention sur son plan national se sont faits de plus en plus nombreux. Quand je suis devenu président de l’ACCC, l’une de mes premières tâches a été de définir rapidement une vision qui reflèterait une réorientation notable des activités vers ce plan.

À l’échelle d’un collège, le travail de défense des intérêts repose sur une conscience préalable du rôle que joue l’établissement dans la collectivité qu’il dessert. Comme en attestaient les partenariats alors établis avec des acteurs de l’industrie et des dirigeants communautaires, la collectivité locale avait une assez bonne idée de ce qu’était un collège et, surtout, elle en comprenait la valeur ajoutée pour la vie locale. Mais quand j’ai commencé à transposer cette stratégie au plan national et au niveau fédéral, eh bien, je dois dire que je me suis heurté à un obstacle majeur, dont la teneur s’exprime parfaitement dans la réaction qui suit : « Les collèges et la politique fédérale… mais vous plaisantez? »

À l’époque, tout le monde saisissait le rôle des universités dans la politique canadienne, mais quant à celui des collèges, il fallait se résigner à une incompréhension totale. C’était, disons-le en toute honnêteté, une réaction fort compréhensible. Les politiciens et les fonctionnaires de haut niveau étaient passés par l’université, ils en comprenaient le fonctionnement, et c’était pour eux  des établissements auxquels ils pouvaient se référer. Il en était de même des organisations qui soutenaient les politiciens et bureaucrates de haut niveau, elles-mêmes dirigées par des diplômés d’université. Comment convaincre ces décideurs de l’importance du rôle des collèges sachant qu’ils n’avaient aucune idée de ce qu’était un collège ? C’était la même chose dans nos médias nationaux. À l’époque, la plupart des journalistes étaient diplômés d’universités si bien que lorsqu’ils rédigeaient des articles à propos de l’enseignement postsecondaire, ils ne comportaient pratiquement aucune référence aux collèges et aux instituts.

Comme c’est souvent le cas avec des questions complexes, la réponse était plutôt simple. Ce que nous avons alors décidé de faire, c’est de « raconter notre histoire ». Celle des collèges est étonnante. Pour prendre la décision d’y étudier, nos étudiants et étudiantes doivent résister à d’incroyables pressions sociales, économiques et parentales. Ils ont un rêve et les collèges ont mis en place des parcours efficaces pour leur permettre de le concrétiser. On y offre une programmation pertinente et utile, donné par un corps professoral intéressé, en collaboration avec des partenaires industriels novateurs. Ajoutons que l’attention accrue que l’on y portait alors aux indicateurs de performance clés ne faisait que souligner encore davantage le fait que les collèges étaient un incroyable exemple de réussite canadienne. Non seulement le taux d’obtention d’un diplôme y était très élevé, mais le taux d’obtention d’un emploi après les études atteignait des sommets. C’était au point que même les diplômés universitaires commençaient à y affluer dans l’espoir que la formation qu’ils recevraient d’un collège ou d’un institut, combinée à leur éducation universitaire, les aiderait à réaliser leur rêve.

C’est alors que nous avons commencé à faire coïncider les programmes offerts dans les collèges aux politiques et plans fédéraux, et que nous avons encouragé le gouvernement fédéral à se joindre à nous pour matérialiser notre vision. Chaque fois que nous avions l’occasion de rencontrer un ministre ou un haut fonctionnaire, nous nous appliquions à leur démontrer que les collèges et les instituts pouvaient apporter une importante contribution. Après tout, les collèges ne sont-ils pas à l’avant-garde du développement social et de la main-d’œuvre? Ils savent atteindre tous les segments de la société canadienne et sont par conséquent très bien placés pour avoir un impact sur à peu près tous les plans ou les politiques du gouvernement fédéral.

Plus nous nous entretenions avec des représentants du secteur politique et public fédéral, plus ils comprenaient. Ils ont alors commencé à envisager le rôle que les collèges et les instituts pourraient jouer pour les aider à atteindre leurs objectifs. Ce qui touchait aux collèges est devenu leur affaire et c’est là que l’on a commencé à assister au lancement d’initiatives conçues à l’intention précise des collèges dans des domaines tels que la recherche appliquée, l’environnement, les PME, les collectivités rurales, et l’on pourrait continuer la liste. Conséquence plus importante encore, ce travail a jeté les bases d’un grand nombre des activités de promotion fructueuses dont nous voyons les effets encore aujourd’hui.

La même chose s’est produite pour nos médias nationaux. Les journalistes ont commencé à prêter une oreille plus attentive à ce qui se faisait dans les collèges. Le quotidien The Globe and Mail a commencé à leur consacrer un supplément annuel, tout comme l’a fait le magazine Maclean’s. Ils avaient tous acquis cette même confiance qu’ils pouvaient désormais parler de la réussite du système collégial.

Tout en gardant pour principal objectif d’exercer une pression constante auprès du gouvernement fédéral, nous avons premièrement développé simultanément trois domaines d’action importants pour appuyer notre réorientation vers la politique nationale. Nous nous sommes ainsi appliqués à mettre en place une série de possibilités de perfectionnement professionnel et à nous assurer que les collèges étaient en mesure de les offrir. Grâce aux ateliers qui en ont résulté, le personnel des collèges et les représentants du gouvernement fédéral ont pu se rencontrer, en apprendre les uns des autres et établir des liens de réseautage qui ont aidé à soutenir notre développement. Nous avons également concentré notre attention sur le perfectionnement des équipes de direction des collèges et instituts afin de les doter des compétences et outils nécessaires pour relever non seulement les défis rencontrés au niveau local, mais aussi faire le lien avec la politique nationale.

En deuxième lieu, nous avons transformé les modèles de gouvernance de l’association. Le travail de défense des intérêts de nos membres au niveau national ne se fait pas uniquement à Ottawa : le Canada est un ensemble de collectivités, et chacune est représentée à la Chambre des communes. Par ailleurs, chaque collège a un rôle crucial à jouer pour appuyer le travail de plaidoyer de l’association sur la scène canadienne. Si nous voulions que la politique nationale reste au premier plan du travail de défense des intérêts de l’association, il fallait à celle-ci un modèle de gouvernance plus solide offrant aux collèges la garantie de pouvoir jouer un rôle concret de premier plan dans le processus décisionnel. Même s’il est toujours difficile de reconfigurer un modèle de gouvernance existant, cette recommandation a été approuvée par les membres de l’association en 2005 de manière retentissante. Pourquoi ? Parce que nous avions réussi à les rallier à l’importance de la politique nationale et à leur faire prendre conscience de la nécessité d’un modèle de gouvernance plus efficace dont ils pourraient tirer parti.

Troisièmement, nous avons réexaminé notre approche en matière d’éducation internationale. En mettant de l’avant la réussite de notre système collégial, nous nous sommes organisés pour aider les collèges et les instituts à recruter des étudiants étrangers. Nous avons revu la conception des projets menés à l’international de sorte à refléter le rôle crucial que jouent les collèges dans le développement économique d’une nation. Le programme d’ÉPE mené à l’international, qui a connu un succès retentissant, est né des leçons tirées de notre plan national.

Faute de place, j’ai dû omettre toutes sortes de détails intéressants qui font toute la richesse de notre passé. Mais j’espère vous avoir donné une idée des défis auxquels nous avons été confrontés et des moyens que nous avons pris pour les relever. Le passage à l’adoption d’un plan national a été une décision cruciale pour l’association et nous y recourons toujours. Les efforts déployés pour « raconter notre histoire » sont tout aussi importants aujourd’hui que par le passé et c’est une histoire incroyable dont chaque collège doit être fier.

S’il est vrai que ce rêve a été celui d’un grand nombre, je tiens à souligner la contribution de Terry Anne Boyle qui a travaillé inlassablement au plan national pour faire valoir nos efforts.