18 février 2022

Comment adapter les programmes d’Éducation pour l’emploi à une nouvelle réalité

Par Paul Brennan, vice-président retraité, Partenariats internationaux, CICan (1993-2017)

Il y a quinze ans, CICan a entrepris une transformation fondamentale de ses projets d’aide au développement international. Cette réforme a mené à la mise en place de l’approche Éducation pour l’emploi (ÉPE), qui reste à ce jour son initiative phare à l’international. Bien qu’elle ait apporté sa collaboration au développement international depuis les années soixante-dix, cette approche représentait un changement d’importance pour l’association et pour ses membres. Cela lui a permis de passer d’une approche selon laquelle le Canada contrôlait la plupart des aspects du développement à une approche accordant aux partenaires étrangers un pouvoir beaucoup plus important pour la sélection et la mise en œuvre des projets. De plus, l’association est passée de la réalisation de petits projets isolés dans de nombreux pays à celle d’une douzaine de projets simultanés dans un nombre de pays restreint de sorte à contribuer à un plan de réforme sectorielle susceptible de produire des résultats plus durables, dont l’emploi et l’auto-emploi des apprenants. En tant que vice-président des Partenariats internationaux de CICan, j’ai eu la chance de participer à cette transition et de voir nos partenariats se développer au fil des ans.

L’évolution de l’ÉPE qui se poursuit aujourd’hui est documentée dans un article publié sur la page Web des 50 ans de CICan sur l’historique des partenariats internationaux ainsi que dans mon étude Leadership de la transition vers un développement axé sur les partenaires.

Tandis que nous célébrons le 50e anniversaire de l’association et marquons les 15 ans des programmes d’ÉPE, CICan m’a demandé d’offrir quelques perspectives d’avenir en tenant compte des bouleversements de ces deux dernières années ainsi que des défis et possibilités émergents. Voici les deux aspects sur lesquels j’ai choisi de porter mon attention : A) accroître l’appropriation du développement et sa portée, et B) encourager une meilleure intégration et le réseautage.

A) Accroître l’appropriation du développement et sa portée

Du fait de la croissance des disparités auquel on assiste au sein même des pays et d’un pays à un autre, l’élargissement des initiatives ÉPE quant à leur échelle et au nombre de pays visés est devenu plus que jamais une priorité majeure. Mais pour étendre la portée des programmes fructueux, il faut trouver d’autres donateurs ou fondations prêts à co-investir dans l’aide au développement. C’est ainsi que CICan a récemment obtenu de la Fondation Mastercard l’accès à 30 millions de dollars américains supplémentaires en complément aux quelque 20 millions de dollars de financement d’Affaires mondiales Canada (AMC) pour le travail qu’elle a entrepris en collaboration avec des collèges au Kenya. Cela pourrait permettre de passer de quelques cas de réussite dans deux ou trois secteurs, ou régions, d’un même pays, à une réforme systémique durable dans l’ensemble du pays. Le moment est aussi venu d’étudier la possibilité de travailler simultanément avec d’autres associations et organismes bilatéraux à l’étranger.

Pour obtenir de tels résultats durables, il est essentiel de veiller à ce que les pays hôtes s’approprient beaucoup plus le processus de développement et les budgets à y consacrer, et les contrôlent, plutôt que d’être tirés dans différentes directions et devoir satisfaire aux exigences dictées par les priorités et responsabilités multiples et légèrement différentes des donateurs et associations investis, comme c’est souvent le cas dans les modèles de cofinancement. La complexité du processus peut finir par empêcher les partenaires sur le terrain de s’approprier le développement pour le céder au personnel des donateurs et organismes spécialisés qui en connaissent bien les exigences. L’idéal serait que les pays concernés élaborent d’abord leurs plans directeurs d’ÉPE et qu’ensuite, ils se trouvent des donateurs et organismes capables de s’y intégrer, et non l’inverse. Le gouvernement tunisien y est parvenu il y a quelques années avec des résultats probants. Les pays partenaires insistent à présent pour que la « coopération au développement » soit réellement dirigée par leurs soins plutôt que par les organismes donateurs et leurs partenaires du Nord.

Nous ne pouvons d’ailleurs plus limiter l’accès à l’éducation et à la formation menant à un emploi à ceux et celles qui ont la chance de pouvoir fréquenter l’un des quelques établissements qui bénéficient d’un soutien international sur le terrain. À présent que nous savons beaucoup mieux qu’auparavant comment travailler en ligne, l’utilisation de la technologie est aussi une stratégie majeure à explorer pour élargir nettement la portée de projets à un nombre bien supérieur d’établissements et d’apprenants. Cela demande à ce que l’accès aux réseaux à bande large soit étendu aux régions mal desservies où la pauvreté s’accroît. Les donateurs et les associations investis dans l’aide au développement pourraient solliciter la contribution de fournisseurs internationaux et locaux de services à large bande qui souhaitent atteindre ces clients potentiels, de même qu’investir dans des sources d’électricité renouvelables. En favorisant l’accès à la bande large, à une pédagogie adaptée et à des mentors locaux, on pourrait étendre considérablement la portée des programmes d’ÉPE.

Enfin, élément délicat, mais indispensable pour aller de l’avant, il faut aider les partenaires à éradiquer la corruption qui existe au sein de leurs systèmes. En effet, si l’on continue de l’ignorer, cette corruption sabordera l’obtention de résultats, freinera l’enthousiasme pour le changement et consolidera les tendances et les régimes autoritaires. Grâce à une large diffusion des résultats convenus, des allocations budgétaires de même que des rôles et des responsabilités de chaque partenaire, il sera possible de fournir aux participants intègres l’information utile pour mieux être en mesure de demander des comptes à leurs dirigeants et à leurs collègues.

B) Encourager une plus grande intégration et le réseautage

Appuyer la création et la pérennisation des réseaux de dirigeants d’établissements d’enseignement supérieur, de formateurs, de chargés de cours, de fonctionnaires et de responsables de conseil des ressources humaines des employeurs, constitue un moyen peu coûteux, mais efficace de développer l’apprentissage et l’innovation dans les pays en développement. Comme en témoignent les questions posées chaque jour par des participants du monde entier sur le forum d’apprentissage de l’UNESCO-UNEVOC pour l’EFTP et les ressources qui y sont partagées, le potentiel de tels groupes est indéniable. Les donateurs doivent soutenir les réseaux de ce type pour optimiser leur rôle et les résultats visés. L’appartenance à des réseaux aussi actifs renforce la confiance des participants pour élaborer leur propre plan, accéder aux ressources existantes et les adapter. Des réseaux comme celui de la  Commonwealth Association of Polytechnics in Africa (CAPA), pour l’Afrique anglophone, ou tout autre réseau équivalent opérant dans d’autres parties du globe, ont besoin d’être plus activement soutenus et encouragés par la Fédération mondiale des collèges et écoles polytechniques (« la WFCP »). S’il est vrai que les donateurs ne prennent pas souvent cela en considération dans leurs plans, il s’agit pourtant d’un élément clé pour renforcer l’appropriation du développement et sa viabilité.

Les associations et les organismes de financement doivent mieux aligner leurs priorités ou, du moins, faire en sorte que les projets et les établissements d’enseignement aient pour objectif de réaliser un éventail de résultats connexes en même temps. Ces deux dernières années, il est apparu de façon encore plus manifeste qu’une multitude d’enjeux de nature diverse sont tous reliés les uns aux autres et doivent être abordés selon des approches réellement intégrées à multifacettes. Bien qu’il soit essentiel, pour réduire la pauvreté et les inégalités, de donner la priorité à l’éducation des filles et des femmes, il faut aussi, et en même temps, aider les populations les plus démunies à prévenir et à atténuer les catastrophes climatiques ou les pandémies. Si l’on se trouve dans un village pauvre ou un bidonville, ce n’est pas parce que l’on se sera donné une priorité que l’on va devoir négliger les autres réalités.

Enfin il est temps, pour les collèges et les instituts du Canada, de se débarrasser de ces vieilles habitudes que nous avons prises de séparer nos activités à l’international entre l’aide au développement, le recrutement des étudiants étrangers et la mobilité des Canadiens à l’étranger, et de calquer les divisions des programmes d’études canadiens sur ce qui se fait à l’échelle internationale. Les collèges les plus novateurs ont commencé à intégrer tous ces aspects dans le plan général de leur établissement de sorte à être plus efficaces et plus performants. Pourquoi ne pas mettre sur pied des partenariats internationaux à multifacettes là où il y a effectivement non seulement une mise en commun des compétences et du savoir-faire, mais aussi un apprentissage mutuel et une mobilité réciproque, des classes conjointes en ligne, des activités de recherche appliquée conjointes, et même des programmes conjoints avec échanges d’étudiants et d’enseignants, plutôt que de garder chaque activité isolée et de conserver une grande partie du contrôle au Canada?

Les défis massifs et urgents que la prochaine génération devra relever nous obligent à former rapidement un bien plus grand nombre de citoyens du monde et de dirigeants actifs sur toute la planète, et à être plus intelligents et plus efficaces pour atteindre des résultats durables à de multiples niveaux. À ce stade, pour qu’il y ait développement, il faut en accroître l’appropriation, la portée, la responsabilité, l’intégration et le réseautage.